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Où en est la loi ALUR. La question du Sénat

lundi 25 novembre 2013

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Ce projet de loi était connu, entre autre, pour être favorable à la possibilité de choisir de vivre en habitations démontables en tenant compte de leur faible empreinte écologique. En effet quelques éléments devraient faciliter, dans de très rares cas, la possibilité de les autoriser sur des communes volontaires. Quelques concertations ont été accordées à des acteurs de terrain en vue d’initier une prise en compte d’une réalité qui ne peut plus aujourd’hui être occultée par les pouvoirs publics tant elle a été relayée dans les médias et associée aux difficultés sociales et économiques que traverse la société française. Malgré cela, telle que la loi était proposée par le gouvernement, nous savions que de nombreuses difficultés allaient rester le lot quotidien de plusieurs centaines de milliers de personnes concernés par ces habitats. [1]

Actualité
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Le projet de loi ALUR défendu par Cécile Duflot a été adopté hier en seconde lecture par l’Assemblée Nationale. Le texte adopté a été transmis au Sénat aujourd’hui et y sera débattu en séance publique les 29, 30, 31 janvier et éventuellement, le 1er février 2014. Voici le compte-rendu des « débats », très limités, qui ont conduit à l’adoption des articles qui nous intéressaient particulièrement, notamment l’article 59 (intégrant l’apport de l’ANGVC concernant la modification de l’article 121-1 du code de l’urbanisme), réintroduit par le gouvernement après sa suppression du Sénat, et l’article 73.

Ces braves sénateurs préfèrent condamner des personnes à détruire eux-mêmes leur unique logement souvent déjà modeste. Ils les condamnent à errer avec des amendes, des récidives... et au nom de quoi ? Pourquoi cette conception normative d’un urbanisme opposé au « social » nous est-elle toujours servie alors que les urbanistes devraient composer avec la réalité sociale. De quels « précipices, gouffre, brèche » parlent-ils dans leurs débats ? [2]
Sûrement pas du fossé des inégalités sociales qu’ils continuent à creuser par leur incompétence ou leur égoïsme, selon les cas. Ils doivent sûrement s’imaginer que d’interdire la pauvreté doit suffire pour la faire disparaître. De quel « respect de la loi » parle M. Cornu ? Nous entendons continuellement ces fallacieux propos de la bouche d’élus locaux ne désirant pas partager le territoire avec des populations paupérisées. Mais dans l’enceinte même du haut-législateur, ces propos deviennent nauséabonds.

Après un premier passage à l’Assemblée Nationale, l’attitude des sénateurs consistant à nier ce phénomène est le symptôme d’un rejet de tout ce qui pourrait paraître étranger au modèle établi. Elle correspond également à l’attitude schizophrène des élus de la République qui pensent encore que l’on enrayera la difficulté à se loger en interdisant aux personnes de trouver des solutions adaptées, sinon à leurs besoins, leurs envies, adaptées aux carences de l’État et aux choix politiques en matière de logement et de solidarité. Les sommes investies par l’État pour expulser et détruire les « habitats de fortune », sont à la hauteur de l’acharnement à rejeter toute forme d’initiative et d’alternative qui ne fasse pas le jeu de la spéculation immobilière, monnaie d’échange de l’oligarchie qui règne sur ce pays. Nous en sommes ici à nous reposer la question de savoir si, comme le disait Cornelius Castoriadis, nous ne sommes pas devant un exemple flagrant qui démontrerait encore une fois que les qualités requises pour accéder au pouvoir sont belles et biens celles qu’il ne faut pas posséder pour gouverner équitablement. Nous constatons ici que les pauvres ne comptent pas dans l’électorat et que le législateur a choisi de nier leur existence, voire de les accuser d’être la cause des difficultés que rencontrent les classes moyennes à joindre les deux bouts. Ils agissent comme s’ils étaient élus uniquement pour leurs électeurs sans être au service de tous. Ainsi, ils croient légitime de penser que les pauvres sont le problème et pas comme nous pourrions l’espérer, la pauvreté est notre problème. Nous connaissons les conséquences dramatiques de ces postures avec leurs lots de divisions et de conflits civils qui amènent l’esprit corporatiste, et hélas trop souvent aident le totalitarisme à se mettre en place.

Alors que la France et l’Europe sont secouées par une véritable tornade économique, marquées par un accroissement de la pauvreté, que le défenseur des droits, l’Europe, les associations rappellent à la France de faire des efforts, de se mettre en conformité avec le droit au sujet des établissements spontanés, cette décision des sénateurs semble aller totalement à l’encontre des mesures élémentaires nécessaires pour lutter à la fois contre les discriminations des populations itinérantes, les inégalités criantes en matière de logement et pour répondre aux besoins de solidarité et à la protection du domicile des plus démunis.

Le texte va repartir à l’Assemblée, espérons que les parlementaires reprendront leurs esprits d’ici le vote définitif. Il faudra pour cela une nouvelle mobilisation des associations concernées.


[1Annexe [1]

Dans l’état, même sans le retrait de l’article 59 de la loi ALUR :

  • Les installations devaient rester sur des terrains constructibles et donc trop chers pour être accessibles à la majorité des foyers.
  • La situation des occupants de terrains locatifs hébergeant leur résidence principale (camping, terrains familiaux...) restait précaire et permet les abus sordides auxquels, hélas l’actualité nous a habitué.
  • Une installation nouvelle pouvait être facilement refusée, car elles ne pourront se faire que lorsque les collectivités créeront leurs documents d’urbanisme. Hélas, nous savons, qu’elles ne désirent que rarement garder ou accueillir leurs usagers en logements éphémères et mobiles.
  • Toutes les installations existantes deviennent illégales si le maire ou le Préfet refuse la création de « pastilles » ainsi que la délivrance d’une autorisation. Nos associations sont habituées à essuyer ces refus systématiques.
  • Certains articles permettent aux communes de mettre les Habitations Légères (HL) loin de tous les services de la commune (écoles, bassin d’activité, administrations, loisirs...), malgré la principale requête faite par les demandeurs de terrains familiaux privé ou locatif et d’aires d’accueil.
  • Les diagnostics prévus ne tiennent pas compte des besoins réels, ni ne sont opposables au moment de l’élaboration des documents d’urbanisme.
  • Aucune obligation n’est faite aux communes d’intégrer ni de légaliser les demandes de terrains familiaux privés, individuels ou collectifs. Le redéterminisme, que certains appellent aussi « empowerment », pourtant largement éprouvé dans la lutte contre l’exclusion n’est pas pris en compte, favorisant l’assistanat, que nous dénonçons.
  • La loi emploie encore des termes discriminatoires à l’encontre des occupants de résidences mobiles.
  • Les habitations en infraction au code de l’Urbanisme doivent être démontées, détruites sous astreintes par leurs usagers et ceux-ci sont condamnés à payer des amendes exorbitantes. Nous parlons ici d’habitat de première nécessité.

[2Annexe [2]

Quelques morceaux de choix issus des débats du Sénat :

« Pourquoi accorder aux yourtes un statut particulier plus favorable que le droit commun ? Les élus ont souvent beaucoup de mal à s’opposer à ces installations illégales. »

« Et le maire de se retrouver avec des pauvres gens sur les bras à qui il doit expliquer qu’ils ont été dupés... »

« C’est une brèche ! »

« Un gouffre ! »

« Les gens ne comprennent pas qu’on autorise les yourtes quand ils ont tant de difficulté à obtenir un permis de construire. Il faut envoyer un signe fort. »

« C’est une brèche, un précipice ! Vous consacrez le laxisme dans la loi quand il est si difficile de faire respecter le droit des sols. Au contraire ! Soyons fermes ! En permanence, nous avons des difficultés à obtenir des décisions de justice et à les faire exécuter pour des personnes qui installent leurs caravanes dans des espaces naturels - au moment où on dit vouloir lutter contre leur artificialisation -, puis un appentis, puis autre chose, et autre chose encore... Il est plus facile de construire des bidonvilles en pleine nature que des lotissements alors que 70 % des Français aspirent à une maison individuelle... »

« La situation n’est pas tenable. Non à cet habitat anarchique en zone naturelle et à la communautarisation des droits des sols ; on peut choisir de n’être pas sédentaire - ce mode de vie est respectable - mais on ne s’installe pas sur le terrain du voisin. Quand on est nomade, on l’est vraiment ! Et si on est sédentaire, on respecte le droit de l’urbanisme ! »

« Ce problème n’est pas du tout folklorique : on voit des gens qui croient avoir acheté une place de camping sommés de la quitter en plein hiver... Désolé, on parle des zones A et N dans le compte-rendu des travaux de l’Assemblée nationale, soit de zones non constructibles. »

« Bien sûr, on peut les pastiller. Pire : je vois qu’il est question de terrains non aménagés. Que vont faire ces gens pour l’eau ? Des forages ? Et pour l’électricité ? Pour l’assainissement ? Et la sécurité incendie en zone boisée ? Franchement ! Que dira-t-on aux gens à qui on interdit de pratiquer une ouverture dans leur toit pour un velux ? Cela va être un tollé général. Mieux vaut apporter des réponses à cette question à l’article 73 plutôt qu’à celui-ci. »

« Non, mais respectez le droit ! »

Un merci à M. Joël Labbé qui relève quelque peu le débat : «  Nous ne sommes pas dans l’angélisme ou la naïveté, il s’agit d’apporter une réponse juridique à des situations existantes, de les reconnaître. M. Cornu parle de signal fort - ce signal, c’est « pas de ça chez nous »...

Et même si la remarque suivante est un peu légère au regard de l’ampleur du phénomène de l’Habitat Léger et du contexte social dramatique, il est important de soutenir la diversité culturelle soutenue ici :

« Pour mon groupe, cet article 59 a le mérite de reconnaître le mode de vie de ceux qui ont choisi la sobriété heureuse chère à Pierre Rhabi. C’est un choix de citoyen, parfaitement respectable. Je salue le courage de Mme la ministre. Dans notre beau pays de France, on a le droit de vivre autrement ! »

À la demande du groupe UMP, l’amendement n°587 rectifié (virer complètement l’article) est mis aux voix par scrutin public.

Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 346

Nombre de suffrages exprimés 344

Pour l’adoption 188

Contre 156

Le Sénat a adopté.

Les amendements n° 557, 286 rectifié et 460 rectifié deviennent sans objet.

L’amendement n°646 n’est pas défendu.

L’article 59, modifié, n’est pas adopté.

Messages

  • La commission des finances a décidé de reposer l’article 59 à l’assemblée

    affaire à suivre...

    http://www.assemblee-nationale.fr/14/cr-eco/13-14/c1314045.asp

    Prise en compte de l’ensemble des modes d’habitat

    Article 59 (articles L. 444-1, L. 111-4 et L. 121-1 du code de l’urbanisme) : Prise en compte de l’ensemble des modes d’habitat

    La Commission est saisie de l’amendement CE469 du Gouvernement.

    Mme la ministre. Cet amendement précise d’une part le régime juridique des habitats dits « légers » et d’autre part, en rétablissant la rédaction de l’article L. 121-1 du code de l’urbanisme, les grands principes que doivent respecter les schémas de cohérence territoriale, les plans locaux d’urbanisme et les cartes communales.

    Mme la rapporteure. Avis favorable au rétablissement de cet article supprimé par le Sénat.

    La Commission adopte l’amendement. L’article est ainsi rétabli et rédigé.

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