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Du droit dérogatoire à l’habitat « adapté » au droit commun d’habitats légers, mobiles et éphémères

Béatrice Mésini (Cnrs-Telemme)

mercredi 10 juillet 2013

La réforme du permis de construire et des autorisations d’urbanisme est entrée en application le 1er octobre 2007, apportant des modifications notables sur les conditions d’implantation des résidences mobiles de loisir RML (mobil-homes et caravanes) et des habitations légères de loisirs HLL. Trois textes juridiques récents concernent l’habitat léger : l’Ordonnance 2005 de réforme du permis de construire, le décret d’accompagnement du 6 janvier 2007, l’arrêté du 28 septembre 2007).

En dehors des terrains dédiés que sont les Parcs résidentiels de loisirs, les villages et camping classés au sens du tourisme (visés à l’art R. 111-32 du code de l’urbanisme), l’implantation de constructions démontables ou transportables, destinées à une occupation temporaire, saisonnière ou à usage de loisir (trois mois discontinus ou non par an), est soumise au droit commun des constructions : déclaration préalable, si leur surface est comprise entre 2 et 20 m² et permis de construire si elle est supérieure à 20 m². En revanche, les HLL de moins de 35m² implantées, sur un terrain de camping ou un PRL autorisés ne sont plus soumises à autorisation d’urbanisme préalable, alors qu’auparavant leur implantation devait faire l’objet d’une déclaration de travaux (art. R.421-2-b du CU). Au-delà de 35 m², elles relèvent de la déclaration préalable.

Cantonnés au registre du loisir ou de l’urgence (relogement), les droits d’occupation des sols avec des habitations légères et mobiles sont aujourd’hui triplement contraints : par les outils d’urbanisme (déclaration préalable, permis d’aménager et permis de construire), par les règles de protection de l’environnement (veille foncière sur les espaces agricoles et naturels) et par la vocation des territoires (espaces naturels, littoraux, agricoles, montagnards…) qui conditionne la délivrance des autorisations, en raison de la destination et/ou vocation des terres.

Diagnostic de l’habitat léger et mobile

  • Modification des types d’autorisations d’implantation des HLL et RML, et montée en puissance du contentieux sur des terrains privés pour infraction au code de l’urbanisme, en dépit d’autorisations (tacites et orales) antérieures délivrées par les communes : PV d’infraction, arrêté d’interruption des travaux, injonctions de remise en état des terrains, amendes, saisie des matériaux, astreintes.
  • Le rapport d’information déposé par M. Léonard et Got sur Le statut et la réglementation des habitats légers de loisirs en 20101 recense 250 000 parcelles privées accueillant des habitats légers et mobiles, soulignant que « la tendance à la sophistication des habitats légers et la force du fait accompli ont contribué à la pérennisation d’une pratique qui prête fortement à caution ». Les auteurs relèvent que jusque là, le dispositif restait dans un cadre « relativement légal » grâce au seuil de 6 installations ou 20 personnes et la règle du stationnement maximum, mais que « la tendance à la sophistication des habitats légers et la force du fait accompli ont contribué à la pérennisation d’une pratique qui prête fortement à caution ». Ils rappellent que ce mode d’habitat est exclu de la domiciliation : « le droit à l’exploitation permanente des campings n’entraîne aucunement le droit à une occupation permanente, encore moins à une domiciliation ».
  • Flou juridique du droit positif concernant les HLL et RML, conflits d’interprétation des règles et normes appliquées par les opérateurs et médiateurs de droit (élus, techniciens et tribunaux) et multiplication des questions devant l’Assemblée nationale et le Sénat entre 2006 et 2011. Mme Geneviève Gaillard demande au ministre des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer s’il lui paraît envisageable d’accorder une dérogation sur le fondement de l’article R. 111-16 du code de la construction et de l’habitation2 « pour l’implantation d’une yourte à usage d’habitation permanente », compte tenu des spécificités fortes que présente ce type d’habitation permanente sous nos latitudes. La réponse ministérielle est pour le moins alambiquée : « la yourte en tant qu’habitat traditionnel des nomades d’Asie centrale présente bien évidemment une originalité lorsqu’elle est implantée en France et peut présenter un caractère innovant. Toutefois, différentes yourtes, provisoires ou permanentes, dites « yourtes contemporaines » ont déjà été réalisées en France. De telles opérations de réalisations de nouvelles yourtes ne sont plus expérimentales par nature. Ce n’est que dans le cas où ces nouvelles yourtes présenteraient un caractère innovant que des dérogations aux dispositions générales pourront donc être accordées.
  • Point de blocage : nommer et qualifier la « décence » de l’habitat dépend de règles incitatives et prescriptives, de normes encadrées et dérégulées ainsi que de profonds systèmes de valeurs (sociales, culturelles, morales et éthiques). Ainsi, la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion " MOLLE" du 25 mars 2009, a précisé la définition de l’habitat indigne3, dans laquelle peuvent être inclus les habitats légers et mobiles : « Constituent un habitat indigne les locaux et installations utilisés aux fins d’habitation et impropres par nature à cet usage ainsi que les logements dont l’état, ou celui du bâtiment dans lequel ils sont situés, expose les occupants à des risques manifestes pouvant porter atteinte à leur sécurité physique ou à leur santé ».
  • Conflits de temporalités : usage saisonnier pour les « unités d’hébergement touristique » (alors dans les Parcs résidentiels de Loisirs, les campings et villages classés tourisme, la propriété de l’habitat mais aussi du terrain peut être collective ou privative avec un usage saisonnier parfois permanent), usage temporaire pour les « unités d’hébergement d’urgence », usage permanent pour l’habitat mobile « constituant la résidence principale de leurs utilisateurs » (nomades et gens du voyage).
  • Régime dérogatoire « l’habitat adapté » sur populations-cibles de l’action publique. Catégorisation de populations éligibles à l’implantation d’HLL et RML sur des terrains aménagés : Gens du voyages, nomades, précaires, saisonniers, migrants, SDF, « jeunes errants », vulnérables...
  • Segmentation des statuts de terrains publics et privés : « aires d’accueil », « terrains familiaux », « terrains réservés » pour les agriculteurs, terrains dédiés aux touristes (PRL, campings, villages classés)…
  • Fragmentation des types d’autorisations d’occupation des sols suivant les lieux d’implantation et le statut des ayant-droits : HLL et RML relevant soit de la déclaration préalable, du permis de construire, du permis d’aménager.
  • Dévoiement d’outils d’urbanisme renforçant la vulnérabilité des habitants : permis de construire « à titre précaire » ou convention d’occupation précaire. La jurisprudence a admis la validité de la convention d’occupation précaire, issue de la pratique, si elle n’a pas pour but d’éluder la législation spécifique contraignante applicable aux baux d’habitation, et si la précarité est justifiée par un motif d’intérêt légitime indépendant de la volonté des parties. Par ex. situation géographique et caractère transitoire de l’immeuble, caractère discontinu ou temporaire de l’occupation, relogement de familles sans abri…4.
  • Politique de guichet sur fond de flou du droit positif, de « doctrine » des DDT, d’une inégalité de traitement des utilisateurs et du pouvoir discrétionnaire des élus.
  • Processus accéléré de judiciarisation par lequel le traitement judiciaire se substitue à d’autres modes de régulation sociale, le cas échéant à l’élasticité réglementaire qui a longtemps prévalu dans les territoires concernant l’implantation d’habitats mobiles et légers. Les terrains privés aménagés ont essaimé depuis les années 70 grâce à des autorisations orales ou tacites délivrées par les élus, alors que depuis la loi du 31 décembre 1976 de réforme de l’urbanisme, la compétence du maire en matière d’infraction est liée5.
  • Inéquité territoriale et exclusion sociale (panier de droits civils, politiques, civiles, sociaux, économiques et politiques attachés à la domiciliation).
  • Dissensus et arbitrage asymétrique entre politique sécuritaire et cohésion sociale : prolifération de l’habitat adapté sur terrains aménagés publics et privés, versus évacuation de « toute implantation illégale, quels qu’en soient les occupants ». Illégalité des habitants « en infraction » avec les codes, et stigmatisation des habitats légers et mobiles en termes d’indignité, d’indécence, d’insalubrité, ou de trouble à la sécurité et à l’ordre public. La victoire juridique contre la première circulaire Hortefeux visant spécifiquement l’évacuation des campements de Roms, sonne le glas pour tous les occupants en infraction, élargissant le cercle des « déguerpis ». La circulaire rectifiée du 13 septembre 2010 reparue sans la mention Roms, mentionne 441 évacuations de campements illicites depuis le 28 juillet.


Prolifération de droit dérogatoire pour « l’habitat adapté » et le logement d’urgence

Catégorisation de « populations-cibles » éligibles à l’habitat adapté : Gens du voyage, nomades, précaires, saisonniers, migrants, SDF, « jeunes errants », vulnérables...

 Loi de Programmation pour la Cohésion sociale 2005 prévoit la création de 100 000 places dans le dispositif d’accueil et d’hébergement d’urgence et mise en œuvre de Chartes territoriales de cohésion sociale.
 Le droit au logement opposable DALO 2007
 La mobilisation pour les sans-abri décrétée « grand chantier prioritaire 2008-2012 ». Selon une circulaire du Premier ministre du 22 février 2008, l’action dans ce domaine s’organise autour plusieurs objectifs : un diagnostic partagé, un plan d’humanisation et de rénovation des centres d’hébergement (d’urgence, de stabilisation ou d’insertion), la création de nouvelles places, mais aussi celle d’un fonds de 5 millions d’euros sur 2008 pour financer des expérimentations ou des opérations atypiques.
 Droit à l’hébergement opposable DAHO. Dans une décision rendue le 10 février 2012, le Conseil d’État saisi par l’association Droit au Logement, reconnaît le droit à l’hébergement comme une liberté fondamentale « Toute personne accueillie dans une structure d’hébergement d’urgence doit pouvoir y bénéficier d’un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu’elle le souhaite, jusqu’à ce qu’une orientation lui soit proposée. » Art. L 345-2-3 Code de l’Action Sociale et des Familles.

1. L’habitat adapté des Gens du voyage

La résolution du Conseil de l’Europe, adoptée par le Comité des Ministres le 30 juin 2010 souligne que les Gens du voyage « font l’objet de discrimination dans la mise en œuvre du droit au logement et que la simple garantie d’un traitement identique ne suffit pas à les protéger et qu’il faut tenir compte de la différence de situation dans laquelle ils sont placés ».

La mise en œuvre d’une politique favorisant l’habitat des gens du voyage relève en France d’un motif d’intérêt général. La circulaire de mise en œuvre de la politique du logement et à la programmation des financements aidés par l’Etat du 21 mars 2003, permet de financer la réalisation de terrains familiaux locatifs par les collectivités locales. Comme les aires d’accueil, les terrains familiaux locatifs doivent être réalisés par les collectivités locales, seules bénéficiaires de la subvention de l’Etat, qui s’élève à hauteur de 70% de la dépense totale hors taxe, dans la limite d’un plafond de dépense subventionnable fixé par le décret n°2001-541 du 25 juin 2001, soit 15 245 € par place de caravane.

357 terrains familiaux ont été aménagés entre 2004 et 2008 (quelques 600 places actuellement) sous différentes formes : terrains familiaux locatifs, maisons individuelles en location (avec maintien ou non des caravanes), accession à la propriété en auto-construction6. « Il ressort d’un certain nombre d’expérimentations que la réussite des projets repose sur l’implication des familles dans la définition du projet habitat : le terrain familial est un mode d’habitat choisi ».

Par ailleurs, des mous peuvent être financées par l’État pour la recherche des solutions de « logement durable », il est possible de mobiliser des dispositifs de « droit commun » dont l’outil privilégié est le prêt locatif aidé d’intégration (PLA-I) mais aussi d’aménager des terrains de type le village d’insertion. En outre, les FSE et FEDER sont utilisables y compris dans une approche intégrée (l’axe 3 du programme opérationnel FSE susceptible de s’adresser aux « communautés marginalisées « est destiné à « renforcer la cohésion sociale, favoriser l’inclusion et lutter contre les discriminations » et, enfin, que les CG peuvent financer dans le cadre de leur Programme Départementale d’Insertion avec ce soutien du FSE.7 

2. L’habitat de stabilisation pour les sans-logis

Le premier « Village de l’espoir », composé de 29 chalets de type Mobil-homes, a ouvert ses portes à Ivry-sur-Seine (94) en mars 2007 ; un deuxième « Hameau de l’espoir » s’est mis en place à Serris en Seine-et-Marne en septembre 2008, comprenant 17 chalets préfabriqués en bois ; un troisième à Caen, comprend 28 places dans 14 chalets mitoyens en bois et un bâtiment collectif de 22 places. A noter que ces villages sont implantés sur des délaissés d’opérations d’urbanisme, sur des terrains en zone AU, ou encore en attente de réalisations de projets futurs. A l’initiative de l’Armée du Salut et de l’association Biohome, un village de maisons bioclimatiques en bois de 18 à 24 m², a été réalisé à Marseille en mars 2008 (ossature de bois, murs isolés par du chanvre, bardage en pin et équipements de panneaux solaires pour la production d’eau chaude).

3. Les résidences d’accueil, destinées aux personnes « en situation de précarité, de vulnérabilité et d’exclusion », s’offrent comme des logements adaptés aux besoins de personnes ayant un handicap psychique.

4. Des PIG régionaux ou départementaux sur le logement des saisonniers agricoles et du tourisme.

5. Relogement d’urgence des bénéficiaires des RMI, RSA, AAH, chômeurs par les centres sociaux et versement des allocations afférentes sur des terrains de campings, accueillant mobil-homes, caravanes et des habitations légères de loisirs.

6. Le camping à l’année

Pour remédier à la « dérive » des HLL et RML constituant l’habitat permanent de leurs utilisateurs, Mme Blot et M. Léonard8 envisageaient la fermeture des campings un mois ou deux par an à la convenance de l’exploitant, mais les professionnels les ont convaincus que cela poserait plus de problèmes que cela n’en résoudrait. En contrepoint, les auteurs soulignent « d’ailleurs que dans de nombreux cas où il est préférable que les campings ne ferment pas car ils peuvent servir à des relogements d’urgence ou au logement temporaire des personnels de grands chantiers. Il est aussi des endroits où ils participent toute l’année à la vie économique des villages. »

Ingérence disproportionnée de l’autorité publique

Paradoxalement, au moment où se déploie légalement diverses formes d’habitats adaptés ou expérimentaux de logements d’urgence, se multiplient les décisions et dispositifs d’expulsion des habitants résidant sur des terrains aménagés, manifestant d’une ingérence disproportionnée de l’autorité publique.9 Or l’ingérence de l’autorité publique, en ce qui concerne la réglementation de l’usage des biens, n’est possible que si elle ménage un juste équilibre entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu, cet équilibre impliquant qu’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

En outre, l’article E de la Charte sociale européenne interdit « toutes les formes de discrimination, soit de traitements inappropriés de certaines situations, soit de l’inégal accès des personnes placées dans ces situations et des autres citoyens aux divers avantages collectifs. La différence de traitement, entre des personnes ou des groupes se trouvant dans la même situation est discriminatoire si elle « manque de justification objective et raisonnable », c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas de « rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. »

La première loi d’Orientation et de Programmation pour la Performance de la Sécurité Intérieure LOPPSI 1 du 29 août 2002 renforçait les moyens d’expulsion des campements illégaux sur les terrains publics, la LOPPSI 2 (2010) l’étendait aux terrains privés. Son article 90 prévoyait que « lorsqu’une installation illicite en réunion sur un terrain appartenant à une personne publique ou privée en vue d’y établir des habitations comporte de graves risques pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques, le représentant de l’État dans le département, ou le préfet de police à Paris, peut mettre les occupants en demeure de quitter les lieux, assorti d’un délai d’exécution qui ne peut être inférieur à quarante-huit heures. Lorsque la mise en demeure n’a pas été suivie d’effet et n’a pas fait l’objet d’un recours, le préfet peut procéder à l’évacuation forcée des lieux, sauf opposition du propriétaire ou du titulaire du droit d’usage du terrain dans le délai fixé. Le cas échéant, il saisit le président du tribunal de grande instance d’une demande d’autorisation de procéder à la destruction des constructions illicites, qui statue dans un délai de 48 heures. Si le propriétaire ou le titulaire du droit d’usage du terrain fait obstacle à l’exécution, le préfet peut lui demander de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser l’atteinte à la salubrité, à la sécurité et à la tranquillité publiques, dans un délai qu’il fixe. Le fait de ne pas se conformer à l’arrêté est puni de 3 750 euros d’amende ».

Le Conseil Constitutionnel, rendue le 10 mars 2011, a censuré cet article, estimant que les dispositions « méconnaissent les exigences constitutionnelles liées à la dignité humaine, à la garantie des droits, à la liberté d’aller et venir, au respect de la vie privée, à l’inviolabilité du domicile et à la présomption d’innocence ». Selon les juges, la faculté donnée à l’habitant et/ou au propriétaire de saisir le tribunal administratif d’un recours suspensif « ne saurait, constituer une garantie suffisante pour assurer une conciliation entre la nécessité de sauvegarder l’ordre public et les droits et libertés constitutionnellement garantis ».

Analyse de la jurisprudence : mobile versus immobile home

En raison des imprécisions du droit positif les juges se prévalent d’une source de droit autonome, l’équité qui permet d’actualiser les règles de droit en remplissant trois fonctions : interpréter les règles obscures (infra legem), suppléer aux lacunes du droit positif (praeter legem) ou remplacer une règle normalement applicable (contra legem).

Droit à l’emplacement

Dans une ordonnance de référé datée du 26 septembre 2007, le Tribunal de Grande Instance de Laval a tranché en faveur du « droit à l’emplacement » en faveur de 16 personnes installées dans une zone industrielle, sur une propriété appartenant à la Communauté d’agglomération de Laval. Les familles exposent qu’elles n’ont pas d’autres choix que d’occuper le terrain vague où elles se trouvent, tant que les autorités locales les empêchent de rejoindre les aires d’accueil, « où elles ont leurs habitudes ». Les juges reconnaissent que « les gens du voyage n’ont d’autres choix que d’occuper un terrain vague, leurs enfants étant scolarisés à Laval et certains soignés régulièrement à l’hôpital » et qu’ils peuvent « se prévaloir d’un droit à l’emplacement, au même titre que les citoyens sédentaires peuvent désormais invoquer un droit au logement. »11 
Au terme des deux alinéas de l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme, « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance » et « il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant qu’elle est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
Plusieurs décisions de la Cour européenne des droits de l’homme ont utilisé cet article 8 pour considérer qu’un terrain acheté pour y élire sa résidence « doit passer pour un domicile aux fins de l’article 8 » (Charlemagne 2000), ou encore qu’un groupe minoritaire est théoriquement fondé à revendiquer « le droit au respect de son mode de vie propre, puisqu’il s’agit de vie privée, de vie familiale et de domicile »12 Les prétextes d’urbanisme et de sécurité́ routière apparaissent dénués de fondement ou dérisoires au regard du problème majeur de la préservation de la vie familiale » (Farget 2008).
État de nécessité

Le tribunal de Mende qui s’est prononcé le 29 mai 2008 dans un dossier de construction présumée illégale d’une yourte familiale a débouté la DDE, estimant que le procès-verbal dressé était entaché de nullité. Éric Barret, a construit sa yourte à Vébron, sur un terrain de sept hectares lui appartenant, pour exploiter les terres sur lesquelles il cultive des légumes. L’endroit est accessible, des toilettes sèches ont été installées et l’éclairage fonctionne à l’énergie solaire. L’avocat a demandé la relaxe de son client, insistant sur le fait que le prévenu n’avait pas d’autre moyen pour se loger : « Si la DDE n’est pas là aujourd’hui, c’est parce qu’elle ignore la législation et le maire n’a pris aucun arrêté d’interdiction contre ce propriétaire, qui entretient son bien en y travaillant. L’état de nécessité est là, il a le droit fondamental de se loger et on le livrerait à la dépendance en interdisant sa yourte. »

Selon un principe d’interprétation in favorem, l’état de nécessité invoqué renvoie à la situation dans laquelle se trouve une personne qui n’a d’autre ressource, pour sauvegarder un intérêt supérieur, que d’accomplir un acte défendu par la loi pénale (Ghica-Lemarchand 2006). Un jugement du tribunal correctionnel de Colmar a admis en 1956 cet état de nécessité pour un père ayant construit une cabane pour protéger sa famille du froid, estimant que la construction réalisée représentait le seul moyen dont il disposait pour procurer aux siens un logement confortable et salubre. L’exigence réside dans la manifestation d’un danger grave et l’existence de faits menaçant une personne dans sa vie ou son intégrité physique (Hesse 2002).

Erreur de droit en raison de l’imprécision des textes

Tom et Léa installés en yourte habitent le petit village d’Arrout depuis 2007, sur un terrain prêté au milieu des bois en échange du défrichage et de l’entretien de la parcelle. En première instance, devant le Tribunal correctionnel de Foix, ils ont été reconnus coupables d’exécution de travaux sans permis de construire et condamnés le 2 mars 2010 à démonter leur habitat Yourte, ainsi qu’à une amende de 600€ et 10€ par jour de pénalités de retard. Dans son jugement rendu le 20 mai 2011, la Cour d’appel de Toulouse a exonéré les contrevenants de toute responsabilité pénale et prononcé la relaxe des fins de la poursuite. Le jugement reconnaît l’erreur de droit que les prévenus « n’étaient pas en mesure d’éviter », prévue à l’article 122-3 du code pénale, en se fondant sur les réponses ministérielles des 8 février 2007 et du 13 avril 2010 qui assimilent les yourtes aux tentes lorsqu’elles ne sont pas équipées. « Les réponses de l’administration centrale sont en contradiction avec l’interprétation faite par les services de la DDE d’Ariège, en l’espèce, il est établi que la yourte ne comportent aucun aménagement, ni équipement puisqu’il n’y a qu’une pièce circulaire, sans sanitaire, ni cuisine. »

Statut des habitants et nature de l’habitat (meuble ou immeuble)

Amidou et Stéphanie Château ont installé une ferme éco-nomade, baptisée Chante-Perdrix, sur la commune de Lagnes en mai 2010, sur un terrain privé de 4 hectares mis à leur disposition, dans le cadre d’un bail à usage (commodat). Ils ont installé deux yourtes mongole et kirghize en autosuffisance énergétique avec des panneaux solaires et réalisé un assainissement indépendant des réseaux (phyto-épuration, toilettes sèches). Dans cette zone classée rouge en raison du risque incendie, ils pratiquent le sylvo-pastoralisme avec leur troupeau d’une douzaine de chèvres, sur cet ancien terrain en friche reconquis par les résineux. Inscrits à la MSA depuis janvier 2011, ils ont également réalisé un potager, ont construit un poulailler et remis le puits en fonctionnement.

Convoqué devant le TGI d’Avignon réuni en formation collégiale, le 19 août 2011, pour défaut de permis de construire, Amidou a argumenté sur le caractère nécessaire de l’implantation des yourtes à proximité de son élevage, sur le caractère minimaliste des équipements relevant du camping mais également sur le caractère mobile des yourtes, prochainement déplacées sur le terrain pour profiter des conditions optimales de l’ensoleillement en hiver. Le procureur de la république a étayé son réquisitoire sur trois points : intentionnalité de l’acte (les plaignants ayant demandé l’autorisation puis la régularisation de l’habitat n’étaient donc pas complètement ignorants de la réglementation), la matérialité de l’infraction (en raisonnant par analogie avec les caravanes, il a rappelé que la jurisprudence constante des tribunaux les considère comme des constructions lorsqu’ils ont perdu leur mobilité) et enfin le non respect des dispositions du POS concernant les zones ND 1 et ND 2. Il demande le prononcé d’une peine de 1000 € d’amende avec sursis et la remise en l’état du terrain.

L’avocate invoque la bonne foi de ses clients, demande l’exonération de responsabilité13 ainsi que relaxe de ses clients. En vertu de l’art 123-1 du CU, elle rappelle que les constructions et installations nécessaires à des équipements collectifs « peuvent être autorisées dans les zones naturelles, agricoles ou forestières dès lors qu’elles ne sont pas incompatibles avec l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestière du terrain ». Par ailleurs, elle argumente sur la nature de la yourte, considérée comme une tente lorsqu’elles ne sont pas équipées (sanitaire et cuisine) par les services ministériels dans leur réponse de 2010 et contextualise le choix du mode de vie minimaliste attaché à la yourte : pas de réseaux, ni équipements, ni éléments de fixité (fondations) mais usage de toilettes sèches, eau puisée à la source… Concernant le zonage de la parcelle en risque incendie, elle valorise l’activité pastorale comme moyen de lutte contre les incendies, se prévalant d’une circulaire de 2007 du Ministère de l’agriculture, relative à la protection et à la mise en valeur des espaces pastoraux, qui stipule que ces espaces « jouent un rôle à la fois économique, environnemental, et social, maintiennent la qualité des paysages et la diversité biologique, préservent les grands équilibres et contribuent à la prévention des risques. » Après délibéré, le Président du tribunal déclare les contrevenants non coupables et prononce leur relaxe. En l’absence « d’éléments fixes », pas de fondations ni équipements attachés à l’ouvrage (non définis dans le code civil), la yourte n’est pas soumise à permis de construire et l’activité pastorale exercée par la famille Chateau relève bien de la gestion des espaces naturels.

éCo-Habiter dans des territoires agrinaturels

Situés dans les espace péri-urbain et ruraux, les implantations d’habitat léger, mobile et réversible, mis en pratique par les associations et collectifs offre un mode d’habitat alternatif à la maison pavillonnaire en propriété, à la précarisation économique et l’endettement bancaire, au manque de logement social mais aussi à l’inadaptation et au coût (humain et financier) de l’habitat d’urgence, tels que les résidences sociales, maison-relais, centre d’hébergement et de réinsertion sociale, résidences hôtelières, foyers...

Les initiatives sont mises en œuvre par de nombreuses associations et collectifs variés : Halem (Essonne 2005), Abri pour les sans-abri (Vaucluse 2005), Le Pré aux Yourtes (Ardèche 2005), Libertente (Bouches-du-Rhône 2006), Ma Cabane Mouvement Autogéré des Chercheurs(euses) en hABitats Autonomes (Ariège 2007), Novateurs et Ecologiques (Ariège), Permis de vivre (Drôme 2007), Habitat Racine (Cévennes 2008), Collectif Poitevin pour l’habitat libre (Marais Poitevin 2009) Vie et Habitats choisis (Dordogne 2010), Cheyenne Coordination des habitants/usagers en yourtes sur espaces naturels (Cévennes 2010)…

Différents traits caractérisent ces modes « d’habitats et d’habités » : une approche économique (logement adapté aux besoins et aux ressources, mobile, évolutif et réversible, autonome), une dimension spatiale (espaces privés et communs), des savoir-faire diversifiés (éco-construction, agriculture, artisanat) des dynamiques sociales et culturelles (espaces de vie et d’activités partagés économiques, artistiques, agriculturelles), un aspect volontariste (vivre en lien, définition d’un projet collectif et plan d’aménagement d’ensemble sur les terrains), des alternatives au modèle du « tous propriétaire » (conventions d’occupations, commodats, baux à usages...).

Par ailleurs, les expériences montrent que ces modes d’implantation se nourrissent et s’autoalimentent de devoirs quotidiens envers les terres et terrains habités (nettoyer, défricher, réhabiliter, cultiver, ré-empierrer les sources…), en parfaite adéquation avec les préceptes de développement et/ou d’urbanisme durable. Les habitats sont conçus dans leur environnement de proximité, prenant en compte les ressources territoriales et le système anthropique de leur implantation (relatif à l’homme et aux activités qu’il génère).

A cet égard, la loi portant Engagement national pour l’environnement relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, énonce les instruments permettant de lutter contre le changement climatique, préserver la biodiversité, contribuer à un environnement respectueux de la santé, préserver et mettre en valeur les paysage, diminuer les consommations en énergie, en eau et autres ressources naturelles. Le dispositif transpose de nouveaux objectifs relatifs au développement durable dans les secteurs de l’habitat, de l’énergie, de la biodiversité et de la santé, par la prise en compte de l’ensemble du cycle de vie du bâtiment (intégrant ses besoins en énergie, en eau, ses émissions de CO2, de polluants, la qualité de l’air intérieur et la quantité de déchets produits).

Dans ce contexte, il serait opportun de mesurer l’empreinte écologique (faible SHON, habitats nomades et éphémères, non-artificialisation des sols, réversibilité des aménagements, autonomie énergétique, biodiversité agricole, stockage de carbone réalisés par la plantation d’arbres et végétaux pérennes, réduction des gaz à effet de serre, réduction des déchets à la source, phyto-épuration, intrants biologiques). Il conviendrait aussi d’envisager les impacts économiques, sociaux et culturels de ces implantations d’habitats légers, mis en œuvre en termes de réduction de la précarité, d’autonomie énergétique et alimentaire, assurant l’autoréalisation des nécessités vitales dans un contexte saillant de chômage, de précarité, de pénurie de logements sociaux, de surinflation des loyers, de bulle immobilière et de spéculation foncière.

Conclusion : Droit à l’expérimentation d’habitat légers, mobiles et réversibles

En raison d’une interprétation et application à géométrie variable dans les territoires, des élus locaux s’engagent sur le combat de la réalisation du droit au logement et des libertés fondamentales. Ainsi, le conseil municipal de la commune d’Arrout a pris le parti des nouveaux habitants en yourte. « Quand les jeunes se sont installés, ils m’ont posé la question des autorisations. Je n’ai pas pu y répondre. Lors d’une réunion publique avec les maires du secteur, j’ai posé la question à la DDEA et j’attends toujours la réponse », a expliqué son maire. Le conseil municipal a donc décidé de voter une motion pour le droit au logement, invoquant divers motifs : « Les personnes résidant dans cette yourte ne gênent en rien la commune et ses habitants. Ce type d’habitat n’altère en rien le paysage, n’est pas générateur d’exclusion (les occupants ayant une activité rémunérée), ne présente pas de risque sécuritaire. Les occupants sont tout à fait disposés à acquitter les taxes relatives à l’habitation. Ce type d’habitat par sa conception présente un bilan environnemental intéressant. Le manque criant de location et les prix prohibitifs des logements actuels pénalisent l’installation de populations en quête d’un domicile. Le droit au choix d’une habitation modeste n’est rien d’autre qu’une expression des libertés fondamentales ».

La Mairie de Cubières-sur-Cinoble (Aude), co-pilote avec l’ensemble de services centraux, déconcentrés et décentralisés du territoire, un d’un projet collectif de construction d’habitats légers, porté par l’association Terre de vie du Cinoble et la foncière Terre de liens.

Dans la lignée des lois de décentralisation, un « droit à l’expérimentation » a été reconnu aux diverses collectivités territoriales par la loi constitutionnelle n°2003-276 du 28 mars 2003, qui leur permet "à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent leurs compétences". Elle consacre le principe de l’expérimentation dans l’article 37-114 et dans l’article 72 renvoyant à une modalité particulière d’expérimentation locale.

Cette loi ajoute également un alinéa à l’article 72, qui prévoit que « dans les conditions prévues par la loi organique, et sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque selon le cas, la loi ou le règlement l’a prévu, déroger, à titre expérimental pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice d’une compétence ».

Qu’elle soit de nature législative ou réglementaire, l’expérimentation doit dans tous les cas être précédée soit d’une loi soit d’un décret en Conseil d’État autorisant des collectivités territoriales à se porter candidates pour déroger, à titre expérimental, aux dispositions législatives ou réglementaires régissant l’exercice de leurs compétences. Le soin d’autoriser cette dérogation, qui a un objet et une durée limités, est confié au législateur ou au pouvoir réglementaire.

Trois garanties ont été apportées :

Il s’agit donc d’une démarche volontaire puisqu’il appartient aux collectivités territoriales de se porter candidate. Les collectivités territoriales doivent matérialiser leur intention de participer à l’expérimentation par une délibération motivée de leur assemblée délibérante, transmise au représentant de l’État. Le Gouvernement fixe alors, par décret, la liste des collectivités habilitées à participer à l’expérimentation (LO. 1113-2).
Les expérimentations ne peuvent être engagées lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti.
Pour garantir une procédure identique à toutes les expérimentations, le texte constitutionnel renvoie à une loi organique le soin de définir les modalités d’expérimentation par les collectivités territoriales.

La loi ou le décret autorisant l’expérimentation doit fixer sa durée, qui ne peut dépasser cinq ans ainsi que les dispositions auxquelles il pourra être dérogé. Il leur appartient de préciser également le délai dans lequel les collectivités territoriales concernées pourront demander à participer à l’expérimentation. Avant la fin de l’expérimentation, le Gouvernement transmet un rapport d’évaluation au Parlement, accompagné des observations des collectivités participantes. Au terme du délai, l’expérimentation peut être soit prolongée ou modifiée pour trois ans au plus, soit généralisée à l’ensemble des collectivités concernées, soit abandonnée.

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